Voyages et rencontres dun cinéaste indépendant
Voyages et rencontres dun cinéaste indépendant
Michel Rodde, cinéaste indépendant, nous invite coup sur coup à voir deux de ses films, un documentaire produit pour lémission Temps Présent, La Suisse au Pair (52 min.), qui passera jeudi 1er janvier à 20h sur TSR 1 et un long métrage Je Suis Ton Père (90 min.), film qui raconte une histoire imaginaire, mais vraie, et qui sortira dans les salles en Suisse romande fin janvier 2004. Michel Roddes nous parle ici du fond de la coulisse, de son métier, de son plaisir de partir en tournage, mais surtout de la rencontre des gens qui lui révèlent le monde au travers de regards parfois inattendus et surprenants. Entretien.
«La Suisse au Pair». Comment vous est venue lidée de ce reportage?
La TSR invite de temps en temps des réalisateurs extérieurs à ses équipes permanentes à poser un regard personnel sur le monde. Les sujets suisses ou suisses romands sont dans ce cadre-là très appréciés. Personnellement, jaime mengager à la découverte de réalités parfois si proches de nous que nous ne les voyons plus. Cest ainsi que je me suis intéressé au placement «au pair» qui, en Suisse, est depuis près de 100 ans une véritable institution, avec une caractéristique quon ne trouve nulle part ailleurs: pour apprendre une langue étrangère, les jeunes voyagent à lintérieur de leur propre pays. Je ne pouvais pas tout traiter: jai circonscrit le regard sur les échanges entre la Suisse romande et la Suisse allemande.
Je voulais voir, à travers cette histoire, et en partant de situations très variées ce qui, au cours des derniers 60 ans a changé, et ce qui, au contraire, est resté similaire. Cette recherche ma passionné et le résultat est étonnant.
Comment avez-vous procédé, quavez-vous pu mettre en évidence?
Je propose six portraits croisés, dans une écriture qui ne se veut pas chronologique, mais qui met bien en évidence quil sagit de «la Suisse au Pair» à travers trois générations. A partir dune quinzaine de personnes rencontrées au départ, jai gardé quatre femmes et deux hommes: Elsbeth de Roggewil qui est partie en 1954 à 15 ans à Puidoux-Chexbres, chez un vieux couple pour apprendre le français et qui parle encore aujourdhui de son «Heimweh» avec émotion tout en avouant quune de ses lectures préférées cest Les Misérables de V. Hugo; Vreny de la campagne zurichoise qui est allée suivre lEcole dagriculture et daide ménagère dans le canton de Vaud où elle a rencontré son mari; Sarah qui a aujourdhui 24 ans, et qui, après son séjour en Suisse alémanique, dont elle parle comme dune révélation, a choisi de devenir sergent major dans larmée; Céline dYverdon, récemment jeune fille au pair dans une famille zurichoise aisée, dans laquelle elle sest si bien intégrée quelle sest demandée comment elle allait la quitter; moins heureuse, lexpérience de Carlos, un jeune Bernois dorigine colombienne, qui sest proposé comme jeune homme au pair dans une famille recomposée, mais quil a dû quitter après 15 jours déjà parce que les deux petites filles ne lacceptaient pas; Jean-Pierre, enfin, aujourdhui le plus âgé de tous et qui raconte avec fierté le succès quil avait eu en 1948 à lâge de 16 ans dans le Gürbental, lorsquil faisait valser les filles lors des fêtes du village où il travaillait comme valet de ferme.
Cest plein de petits détails, drôles et émouvants qui, additionnés, nous montrent quau-delà de différences évidentes (lâge, le sexe, lorigine sociale), au-delà de clivages bien réels (les caractères, le vécu, les idées), on découvre une façon dêtre, de voyager, de se rencontrer et dagir communeà chacun deux. A travers les regards croisés de ces six personnes, on devine, «en creux», une mentalité suisse. Mais on voit aussi comment ces gens, tout différents quils soient, se sont sincèrement ouverts à lautre. Leur voyage dans «lautre» Suisse les a rendu plus tolérants.
Votre filmographie est riche, quatre longs métrages, dinnombrables courts-métrages et une série, fort variée, de films documentaires. Ce qui frappe cest lalternance film fiction-film documentaire.
Oui, je tiens à cette alternance. Le travail documentaire est, pour moi, essentiel; je suis très curieux des gens, jaime comprendre ce quils sont, pensent, ressentent. Ce qui compte plus que tout, cest la qualité des relations, la rencontre. Plus javance, plus je sens la nécessité de menrichir, de mimprégner par ce travail documentaire. Jaimerais bien un jour réaliser un grand documentaire qui passerait dans les salles de cinéma. Ceci dit, pour linstant mon domaine de prédiilection reste la fiction.
Jusquà présent jai réalisé des films basés sur lonirique, le fantastique, la dimension surréaliste. Mon dernier long métrage «Je Suis Ton Père» marque une rupture: cest une fiction réaliste. Cest lhistoire dun fils, de sa nouvelle amie, et de son père; un drame se noue entre les trois personnages. Ce film, basé sur le dialogue, se veut ouvert à un plus large public; je glisse ici vers plus de réalité, sans évacuer la poésie. Ce nest pas du naturalisme, mes films de fiction restent des constructions, mais les conflits que je raconte ont une dimension universelle, chacun peut sinterroger, comme en miroir. Mon dernier film est dans un rapport plus immédiat à la vie. Cest nouveau. Pour moi cest une étape que je ressens comme nécessaire.
Entretien réalisé par Marianne EBEL